D. Reymond: Vevey 1860-1914

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Title
Vevey 1860-1914. Une Belle Époque ?


Author(s)
Reymond, Daniel
Published
Yverdon-les-Bains 2020: Editions de la Thièle
Extent
192 p.
by
Ariane Devanthéry

Tout est dans le point d’interrogation. La Belle Époque a-t-elle vraiment été aussi belle que le clame son nom ? Si oui, pour qui, à quel endroit et dans quel domaine : l’économie, la science, les arts, la société dans son ensemble ? A-t-elle été belle pour Nana, Bel-Ami, Gervaise, Emma Bovary ? C’est la question que s’est posée Daniel Reymond sur les habitants de Vevey durant la cinquantaine d’années qu’a duré cette « belle époque ». Qui étaient-ils ? Comment vivaient-ils ? De quelle manière ont-ils traversé cette période ? En ont-ils profité – ou non ? Pour répondre à ces interrogations, il a consulté de nombreux fonds d’archives et probablement lu tout ce qui avait été écrit sur Vevey, accumulant les témoignages, les images anciennes, les regards d’historiens. Cela offre un ouvrage à l’iconographie riche et attrayante, bien qu’on se questionne sur la déontologie de la présence des logos de deux entreprises locales de transport public et de gaz parmi les illustrations des pages consacrées au premier tram électrique de Suisse et à la première usine à gaz de Vevey. S’il faut leur reconnaître un indéniable à-propos, ces marques publicitaires sont néanmoins fâcheuses.

En histoire, comme ailleurs, on accorde souvent plus aux riches. L’abondance de sources a en effet stimulé la recherche et multiplié les angles d’étude et les regards sur l’hôtellerie et le tourisme, la démographie et le développement urbain, les nouveautés techniques, les arts et la littérature. À l’inverse, l’absence de sources rend l’approche de certains sujets difficile, ce qui est le cas de manière générale de la vie quotidienne. Souvent peu documentée, elle échappe à l’étude et à l’histoire. Qu’est-ce qui remplissait les journées d’une bourgeoise ou d’un bourgeois veveysan en 1890 ? Si les soupers mondains ou les soirées au théâtre sont documentables, comment retrouver la trace du passage des heures privées, des temps accordés à la lecture, à la correspondance, à la toilette, au délassement, voire à une pratique sportive ? Et si cette enquête est délicate à mener pour les classes aisées, que dire des classes les plus pauvres de la société, qui n’ont que rarement laissé un témoignage de leur mode de vie ? Le choix opéré par Daniel Reymond de centrer son attention sur ces sujets peu étudiés est ainsi à relever, car il faut être déterminé pour documenter un point aveugle – ou presque. Cela implique en effet le recours à des sources le plus souvent indirectes : l’état des logements en ville de Vevey en 1900, les conditions de travail dans les entreprises locales, entre cigares, chocolat, farine lactée, revendications horaires ou salariales, grèves, etc. C’est ce que l’auteur a cherché et a fait émerger, mettant ainsi en lumière le passé industriel veveysan, trop souvent noyé dans l’attention portée au développement du tourisme montreusien…

Je regretterais personnellement deux choses dans cet ouvrage. Le fait d’abord que le texte n’est pas toujours dénué de jugements de valeur, cachés sous des points d’exclamation ou des discours rapportés non attribués. Mais je regrette plus encore le fait que tout le travail historique réalisé n’a pas trouvé ici un rendu complètement satisfaisant : les introductions et conclusions – importantes pour poser le cadre du questionnement de l’auteur, les limites qu’il a rencontrées ou s’est données, pour mettre en contexte et en perspective, pour tirer des parallèles ou ouvrir à d’autres recherches – sont très, voire trop maigres et laissent un petit goût d’inachevé. Le sentiment d’inachevé se marque aussi dans les très nombreuses citations d’historiens et historiennes, qui peuvent parfois se succéder en rafale, et qui ne sont pas prises en charge par la reformulation de l’auteur, mais traitées comme de nouvelles sources. Si elles soulignent d’un côté l’abondance des lectures et de la documentation, elles trahissent aussi un petit aspect patchwork et non abouti de ce texte, ce qui est dommage.

En s’attachant à documenter la vie des Veveysans – riches et pauvres – durant la Belle Époque, Daniel Reymond a toutefois rassemblé suffisamment d’informations pour brosser un portrait intéressant de ceux-ci, qui vient combler un vide dans l’historiographie locale tout en replaçant sur le devant de la scène le passé industriel de Vevey, souvent encore trop peu connu du grand public. Il en profite pour remettre en question le chrononyme « Belle Époque » et ouvrir de nombreuses interrogations sur la manière qu’on a eue – et qu’on a toujours – de donner des noms aux périodes historiques. Son ouvrage fait ici écho à celui dirigé par l’historien Dominique Kalifa et publié lui aussi en 2020 : Les noms d’époque : de « Restauration » à « Années de plomb » (Paris : Gallimard). Une année 2020 qu’on se réjouit de voir « chrononymée »…

Zitierweise:
Devanthéry, Ariane: Rezension zu: Reymond, Daniel: Vevey 1860-1914. Une Belle Époque ? Yverdon-les-Bains 2020. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 207-208.

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Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 207-208.

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